« Ne te tourmente pas, mon père, parce qu’on m’appelle chien, que je suis vêtu d’un double tribôn, que je porte une besace sur les épaules et que j’ai un bâton en main :
en effet il ne vaut pas la peine de te tourmenter pour ce genre de choses, il faut plutôt t’en réjouir, parce que ton fils se contente de peu et qu’il est affranchi de l’opinion, à laquelle tout le monde est asservi, aussi bien les Grecs que les barbares :
en effet ce nom, outre qu’il n’a pas de rapport naturel avec les choses et qu’il n’est qu’un symbole, est glorieux d’une certaine manière.
Car, si on m’appelle chien, c’est celui du ciel, et non de la terre, parce que c’est à lui que je me rends semblable, en vivant non point selon l’opinion, mais selon la nature, libre sous la seule autorité de Zeus, n’imputant le bien qu’à lui et non à mon semblable.
Quant à mon équipement, Homère écrit qu’Ulysse, le plus sage des Grecs, l’a porté, quand, revenant d’Ilion, il rentra chez lui, conseillé par Athéna, et il est si noble qu’on s’accorde à y voir une invention non point humaine, mais divine :
“Pour commencer, la déesse lui donna pour vêtements un haillon et une tunique misérables, sordides, souillés d’une fumée dégoûtante, puis elle jeta sur lui la grande peau d’un cerf rapide, toute râpée, et lui donna un bâton et une vilaine besace, toute trouée, avec un bout de corde pour courroie.”
Rassure-toi donc, mon père, aussi bien pour le nom qu’on me donne que pour mon équipement, puisque le chien est d’ordre divin, et que l’autre est une invention divine. »
Diogène, lettre à Hikétas.