Il avala son onzième café, musique à fond dans les oreilles. Du punk-rock Californien des années 2000, toute sa jeunesse quoi.
Ces lunettes de mouches, c’est bien n’empêche, si tu louches, se dit-il. Et il pensa ensuite aux différentes formes de strabisme.
Mais ses yeux allaient bien, quoique violemment fatigués par tout ça, à l’image de sa peut-être naissante calvitie sur le lobe gauche. Et puis, les femmes aiment aussi les hommes qui se rasent la tête… et, au pire, il y a toujours la solution du Bouddhisme.
Et il lui en avait fallu, de la Zénitude (la vraie, pas celle à la mode, alimentée de belles phrases ronflantes écrites en grosses lettres, généralement sur un fond de personnage célèbre) pour se remettre de tout ça, sans tuer quelqu’un au passage.
À tel point qu’en se relevant, il avait acquis un tel niveau de puissance, que c’est le Soleil, en personne, qui éclairait la cigarette qu’il tenait dans sa main droite.
« C’était un Mercredi matin, et tous les trois savaient ce qu’ils faisaient là. Quatre, si l’on compte celle qui les accueillait dans ce bureau normalement réservé aux relations avec les partenaires extérieurs. Drôle d’ironie d’ailleurs. Tout ceci était allé un peu trop vite.
Cela ne faisait que quelques jours qu’elle s’était rendue, un matin, dans le patio de cet établissement au-dessus duquel il habitait. Là, elle avait commencé à déblatérer auprès du gérant de cette buvette, sur son voisin du dessus. Par chance pour elle, lui aussi semblait avoir des comptes à régler avec celui-ci.
Mais elle ne s’était jamais imaginée (il faut dire qu’elle n’imaginait jamais vraiment grand-chose) que tout ceci prendrait une telle ampleur ; entre les autres qui s’étaient greffés à cette farce, tous ces arabes, tous ces juifs, les enregistrements, les rires, le pot de départ anticipé de la veille, les gens debout sur les tables… Et aujourd’hui, ça.
Elle avait pourtant l’habitude des petits bidouillages entre amis, mais là c’était un peu trop. On parlait maintenant de l’envoyer à l’ombre, et pour un bon moment. On s’était d’ailleurs arrangé pour qu’il y fût bien accueilli. Sa copine de toujours, peut-être la plus cinglée du lot, avait pris le relais :
— Parfait. Comme ça, nous, on se couvre, et on s’en débarrasse par la même occasion.
— Quand même… Je sais pas… ça fait quelque chose de se dire qu’on ne le reverra plus… lui répondit-elle. Mais cet élan d’humanité était bien tardif.
Ce n’est pas tous les jours, qu’en une heure de temps, on arrive à se rendre complice de la formation d’un mandat criminel. 10+10, 20 ans, si le juge avait passé une bonne nuit, et sans compter le reste. Certes, on peut jouer aux petits mafieux, mais on risque autant que les vrais.
Pendant ce temps, celle qui leur avait ouvert la porte, elle, se demandait si le fait d’avoir cassé le tampon qu’elle tenait encore dans sa main était, ou non, constitutif d’une dégradation de bien public. »
Felipe, En Mai, torche toi avec les faibles, 2017.
Cela devait bien faire deux ans qu’il ne s’était pas assis dans un bistrot, son casque de musique vissé sur les oreilles, seul, serein, à regarder les passants.
Il ne faisait pas si froid que ça ce matin là. La polaire n’était plus vraiment nécessaire. L’hiver se terminait et le Soleil reprenait la main.
— Un café s’il vous plaît, avait-il demandé à ce vieux serveur Marseillais qui portait sur lui cette simplicité sincère, et vraiment classe.
— Vous voulez aussi un croissant ? Ou un pain au chocolat ? On a les deux vous savez. Les gens, ils pensent pas toujours à demander, alors je vous le dis.
Ce fut un croissant. Il n’y avait plus ces ânes qui le mataient de loin en ricanant. Toute cette merde était enfin terminée.
Enfin, tu l’as atteinte cette lumière qu’ils pensaient éteinte. Celle-ci même qui jusqu’ici ne cessait de s’éloigner à mesure que tu avançais vers elle.
Ton honneur, ta liberté. On t’avait tout pris. Lâché, lynché, souillé, sali par ceux-là même que tu avais contribué à sauver d’un naufrage monumental, de ceux qui préfèrent s’acharner à plusieurs et de loin sur celui qui ne peut se défendre, tentant ainsi d’assouvir la frustration d’une vie médiocre et mieux dormir la nuit, en rêvant secrètement pour certains d’être le quart de ce que tu es, d’avoir le quart de ce que tu as.
Les plus courageux de ces lâches tenteront peut-être de continuer à te discréditer. D’autres, quant à eux, pour ceux qui ne seront pas soudainement devenus muets, essaieront de revenir vers toi, « désolés » et ventre à terre, tels les teckels défroqués qu’ils seront à jamais.
Mais toi, maintenant, repose-toi, et bas-toi. Et sois sans pitié. Eux, n’en ont eu aucune.
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