Cela devait bien faire deux ans qu’il ne s’était pas assis dans un bistrot, son casque de musique vissé sur les oreilles, seul, serein, à regarder les passants.
Il ne faisait pas si froid que ça ce matin là. La polaire n’était plus vraiment nécessaire. L’hiver se terminait et le Soleil reprenait la main.
— Un café s’il vous plaît, avait-il demandé à ce vieux serveur Marseillais qui portait sur lui cette simplicité sincère, et vraiment classe.
— Vous voulez aussi un croissant ? Ou un pain au chocolat ? On a les deux vous savez. Les gens, ils pensent pas toujours à demander, alors je vous le dis.
Ce fut un croissant. Il n’y avait plus ces ânes qui le mataient de loin en ricanant. Toute cette merde était enfin terminée.
La Sagesse enseigne la patience nécessaire au Stoïcisme en tant que celui-ci se pose comme une alternative temporaire à la réponse combat-fuite primitive.
Ayant fait le deuil plus ou moins, car je suis et resterai le résultat des souvenirs gravés en moi par mes émotions les plus intenses, de mon aversion viscérale envers la Ville de Lyon, et notamment envers les peintres Lyonnais, encore bouchonné, accompagné de mes meilleurs amis, dont on pourrait d’ailleurs dire qu’ils sont Les meilleurs amis dans la mesure où ce sont les miens, je décidais de gravir les marches de ce corridor interminable qui mêne le pèlerin, que j’étais déjà, à cette sorte d’emblématique basilique qui surplombe cette cité.
Depuis mon perchoir majestueux, j’eus alors une vision panoramique, magnifique, presque onirique de sa composition cosmopolite qui elle-même dégageait une sorte d’énergie quasi mystique, et qui déclencha instantanément une vague d’inspiration spirituelle. Peut-être était-ce le lieu, même si personne n’a à me dire où et quand le Créateur peut s’adresser à Moi.
Plus ou moins en face se trouvait la Part-Dieu, concentration d’affairistes effrénés qui vous accueillera, dès lors que vous arriverez en gare qui porte le même nom par TGV et en première classe, ce qui était bien évidemment mon cas.
Sur votre droite, votre regard se portera en direction de Confluence, sorte de presqu’île connectée par définition et écologiquement moderne, presqu’un pied de nez aux usines Total qui longent la route si vous continuez en direction de Givors, une ville plutôt triste où habitait l’un de mes meilleurs compagnons de promenade, Romain, du nom de l’un des peuples antiques les plus philosophiques de cet ancien monde dont il fût le centre un temps, même si mon expérience récente tend à remettre sur ma table d’examen critique la question de l’esclavage, qui sera toujours moderne.
Vers votre gauche plus ou moins, selon votre mobilité cervicale, la mienne ayant été violemment réduite suite à un vol plané percussif survenu lorsque j’étais enfant, ce qui par ailleurs déclencha mon Génie, vous ferez face au parc de la Tête d’Or, une œuvre des frères Bühler selon Wikipedia (*), ouverte dans une réaction narcissique typiquement Française au Central Park de New-York, même s’il est vrai, également induite par la volonté de replacer notre héritage artistique, bien qu’incomplet sans le mien, au centre de l’Art Mondial, malgré que, comme la substance s’échappe de plus en plus de l’art abstrait actuel, celui-ci tend à se dissoudre dans des sons toujours plus assourdissants.
C’est en regardant « Au service secret de sa majesté », un James Bond extrêmement peu connu, car je ne le connaissais pas, devant la scène au cours de laquelle 007 se lève de table, après avoir déclaré éprouver une certaine « raideur » provoquée par l’une de ses espiègles voisines de table, que je remarquai que cet acte ne lui posait aucun problème, de la même manière que son kilt ne laissait rien transparaître.
C’est alors qu’enfin je compris, dans ma recherche constante de l’Indubitable, la véritable utilité du « Sporran », qui, d’ailleurs, signifie « sacoche » en Gaélique selon Wikipedia, car je mets un point d’honneur à vous proposer des articles extrêmement référencés.
« C’était un Mercredi matin et il se demandait ce qu’il faisait là. L’ambiance était plutôt pesante. Il avait retroussé les manches de sa chemise, blanche, un peu comme la lumière qui éclairait cette matinée de printemps, et que la froideur des murs du petit bureau dans lequel ils étaient installés, avait rendue glaciale.
Bien qu’il avait tout mis en œuvre pour le cacher, il n’était pas très à l’aise. Il était primordial que les quelques minutes de cet entretien se déroulassent bien. Oui, déroulassent. Un mix entre «dérouler» et «dégueulasse», mais nous y reviendrons.
— Ça fait tout de même un an que vous êtes manquant, lui dit-il, laissant ainsi entendre que tout ceci était le fruit de la volonté de celui qui était assis en face de lui. Mais ça ne dépendait pas de lui, et cela ne faisait que quelques semaines, tout au plus. Certainement une erreur de dossier. Cet entretien commençait bien, et il devait garder la face.
En se laissant embarquer là dedans, il n’avait pas seulement mis sa carrière en jeu, mais aussi le train de vie qui va avec, comme c’était coutume parmi certains de ses confrères (peut-être l’est-ce encore de nos jours et le sera-ce encore à l’avenir, même si ça c’est moins sûr). N’abordons même pas les implications éthiques et juridiques que tout ce cirque pouvait entraîner, on était plus à ça près.
En effet, le manège était déjà lancé, bien huilé. Une huile de foies de morues, semblait-il, et elles y avaient d’ailleurs posé leurs immenses arrières trains afin de profiter, elles aussi, tour à tour, à leur tour, de leurs mauvais tours. Goûter à leur part du gâteau, même si, là encore, on n’était plus à ça près.
L’un de ces églefins n’était pas loin, et il commençait à s’exciter, à en brûler ses cils, sur la porte qui séparait les deux salles ; il était donc, lui aussi, surveillé de très près. Alors il fallait assurer. Pour quelles raisons êtes-vous dans l’état dans lequel vous êtes ? poursuivit-il. Il savait sa question étrange, non dans sa formulation, mais plutôt dans la mesure où l’une de ces raisons, et pas des moindres, se trouvait là, à quelques mètres, et avait commencé, dans une sorte de défrustration jubilatoire, à agrémenter leur conversation de son flot de commentaires orduriers. Parce qu’on ne se refait pas.
Mais ça, le convoqué qui se tenait comme il le pouvait sur la chaise devant lui, car il manquait visiblement d’un chouilla de sommeil (une semaine, à vue de nez), ne semblait pas l’avoir remarqué. Et c’était tant mieux. Ces veaux les préfèrent vraiment sans défense, se dit-il. Et l’interrogatoire avait continué ainsi.
De l’autre côté de la porte qui séparait ces deux cabinets improvisés, les petites remarques, ainsi que la relative maîtrise du début, semblaient avoir laissé place aux insultes et à la rage. Les coups de tampons frénétiquement répétés jusque-là par la personne qui accompagnait la bête qui fulminait, afin d’essayer de couvrir ses flots d’injures immondes, n’y avaient rien changés. Un méchant taquet, semblable à violent coup de sabot dans un enclos, vint interrompre le grand oral du guérisseur. Depuis le temps qu’elle patientait dans cette chambre noire.. Pauvre porte, se retint-il de dire.
Malgré tous les efforts qu’il avait mobilisés jusqu’ici afin de rester le plus professionnel possible, il n’avait pu empêcher un brusque relâchement urinaire, consécutif à son soudain mouvement de tête, tous deux déclenchés par cet excès de rage, aussi délirant(e) qu’auto-alimenté(e), qui venait de l’autre côté. C’est un réflexe primitif que l’évolution nous a laissé, semblable à celui qui nous envoie un shot d’adrénaline, lorsque l’on perçoit un mouvement inattendu dans son champ de vision périphérique. Parce que le danger, preuve en était, venait rarement de devant.
— Bon..je..vais..heu..je.. je vais donc rédiger mon rapport..d’accord..? Et euh…et l’envoyer à…à qui de droit…voilà voilà.. continua, tant bien que mal, cet officier de santé. Jean Sebastien Bach avait inventé l’art de la Fugue. Lui, il venait d’inventer l’art de la sifflote tout en se faisant dessus : une certaine variation sur le thème de l’instinct de survie.
Il priait pour que le dindon de l’autre côté du bureau qui les séparait, et qui se retenait de plus en plus difficilement de tourner de l’œil, n’eut pas relevé la mare jaunâtre qui se répandait sous ses pieds, ni le gros tas de farce qui déversait son fiel, à deux pas de là, et qui commençait à sérieusement attaquer la moquette.
C’était donc ça, cette odeur. »
Philippe, En Mai, vous connaissez la suite, 2017.
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